Isabelle Autissier
Elle fut la première femme à accomplir le tour du monde à la voile en solitaire, elle est une romancière réputée – Soudain, seuls (Stock) figurait dans la sélection officielle du Prix Goncourt 2015 -, et elle préside WWF France. Trois types d’aventure entrepreneuriale confondus dans un même dessein : promouvoir l’humanité utile et altruiste capable de réconcilier l’Homme avec une nature que son endoctrinement productiviste, son arrogance, son mépris, et sa cécité face aux réalités climatiques, sociales, économiques de la planète, mettent en péril.
Défendre la cause climatique et environnementale est une course de vitesse. Chaque nouvelle étude scientifique, chaque événement soudain et inédit démontrent qu’inverser la courbe des dégradations planétaires n’est plus une question de siècle ni même de décennies. Désormais, chaque année, chaque jour comptent pour accomplir très vite un changement de cap que l’on sait d’une grande lenteur, d’une inertie mortifère. Nous devons faire pivoter un cargo à la vitesse d’un optimist… voilà la réalité.
L’accélération incontrôlée du temps – économique, financier, technologique, etc. – constitue l’une des premières causes de la double crise écologique et humaine. Le temps de la nature n’est plus celui de l’homme. Le temps a priori lointain des conséquences de nos actes déresponsabilise à court et moyen termes. Que pèsent 40 000 ans de vie d’un déchet nucléaire dans nos consciences ? Le temps de tout homme est en premier lieu celui de sa propre existence. Accepter d’autres temporalités est déjà un effort. Mais en plus, le dogme productiviste – produire, vendre, consommer de plus en plus et toujours plus vite – modifie l’espace-temps. Il détourne nos énergies de « l’essentiel ». Le temps de penser et de faire se rétrécit alors que penser une vision et faire une société harmonieuse exigerait au contraire de l’allonger.
On n’a plus le temps. Plus personne n’a le temps. Tout le monde semble vouloir miser sur la jeune génération, censée être bien davantage sensibilisée. Mais outre qu’ils devront imposer leurs idéaux au système et avoir la capacité à le faire changer, ces enfants aujourd’hui âgés de six ou dix ans ne seront aux manettes que bien trop tard. Beaucoup sera joué lorsqu’ils seront quadragénaires.
La clé réside dans la représentation que l’Homme se fait de lui-même et de son espèce. Il ne doit pas se morfondre en n’envisageant la question que sous l’angle du renoncement. Il doit cultiver les opportunités même si elles s’imposent à lui, et celles notamment de revisiter le sens de son existence, son rôle dans la collectivité, sa cohabitation avec la nature. L’Homme aspire à être davantage un facteur de bien-être, de progrès, de bonheur et de paix qu’un séide de la barbarie – même si l’histoire nous rappelle son ambivalence. Ce moment que nous traversons lui en offre la possibilité. Ne cédons pas aux seuls discours dits catastrophistes – même s’ils sont nécessaires pour placer chacun face à ses responsabilités – car l’accablement fige, sclérose, décourage. Regardons « aussi » les espérances et les possibilités nouvelles qui nous feront « grandir ». Nous devons mettre en scène ces deux stratégies simultanément : le réalisme et le rêve. Peut-être alors l’Homme progressera-t-il dans sa conscience et son respect de ce qu’aujourd’hui il défigure… N’oublions pas la grande nouvelle inhérente à la crise environnementale : celle-ci est due à l’Homme, et donc sa résolution est entre les mains de l’Homme.
« L’optimisme et le pessimisme sont les deux faces d’une même chose qui s’appelle la démission ». J’aime cette phrase. Que signifie-t-elle ? « Qu’il faut y aller », sans se poser trop de questions et en prenant chez tout individu ce qu’il a de bon et de moins bon. Réconcilier l’Homme avec sa planète, assurer à l’Homme une trajectoire existentielle plutôt heureuse que calamiteuse, est à cette condition. Quand on se retourne sur l’histoire, les pires atrocités et les plus extraordinaires accomplissements se sont succédés. Ce qui impose de considérer avec prudence et humilité l’ampleur de la confiance que l’on peut accorder à l’Homme. Je me contente d’emprunter un chemin que je pense être le bon pour l’avenir de la planète et de l’humanité, et sur ce chemin j’avance, je progresse de toutes mes forces sans trop me préoccuper de ce que font « les autres ».
Extraits d’une interview à La Tribune le 30 novembre 2015 : https://acteursdeleconomie.latribune.fr/debats/grands-entretiens/2015-11-30/cop21-isabelle-autissier-faisons-preuve-d-imagination.html
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